La gestion patrimoniale ou la préservation de notre souche Corrézienne


Définition de la gestion patrimoniale de la truite

GEstion patrimoniale truite Corrèze

 

La gestion patrimoniale de la truite consiste simplement à ne pas introduire de poissons sur le bassin versant en privilégiant la réhabilitation du milieu aquatique pour restaurer une population de truite.

 

Bien évidemment, certains milieux préservés n'ont pas forcément besoin d'une réhabilitation et la gestion patrimoniale consiste simplement à ... ne rien faire !

Notons ici que ce type de gestion n'est possible que dans le cadre d'un bassin versant offrant toutes les caractéristiques nécessaire à la survie et au développement de la truite : frayères, caches pour les alevins, les adultes, températures fraîches, oxygène etc.

Les principes de base de notre démarche

Alevinage boîte Vibert
(Source : http://aappmarupt.free.fr)

Notre première démarche a été de faire le bilan historique des pratiques de gestion halieutique de la truite depuis 70 ans. Au fur et à mesure de l'avancement des connaissances en hydrobiologie, qui tout comme la météorologie est l'une des sciences les plus jeunes du monde moderne, les scientifiques, notamment Richard Vibert, chef de service à l'lNRA sur la période 1930-1970, ont préconisé aux sociétés de pêche des modes de gestion plus variés les uns que les autres : déversements d'adultes de pisciculture, alevinages en truitelles, d'été, d'automne, pose de boîte vibert, caissons frayères, capture de géniteurs sauvages et reproduction en pisciculture, transfert de population jusqu'à la petite dernière, l'Alevibox, système breveté dans les années 2000...

 

Toutes ces techniques ont été légitimement tentées par tous les bénévoles qui se sont succédés à la tête de notre société de pêche. Nos archives montrent des déversements massifs en alevins depuis l'après guerre (certains même avant la première guerre sur l'AAPPMA voisine de Tulle !).

 

Ainsi tous les bénévoles, pêcheurs, depuis 70 ans (depuis deux siècles ?), se posent les mêmes questions (il suffit de se pencher sur les comptes-rendu d'assemblée générale de nos glorieux ancêtres pour s'en convaincre !) : comment enrayer la baisse du nombre de truites ? Et si on les mettait avant l'été ? Non, plutôt avant l'hiver elles seraient habituées au ruisseau ? Pourquoi ne pas prélever des géniteurs et les faire reproduire, on préserverait la souche ? Mais est ce que çà marche, que deviennent-elles ?

 

Quel bilan des pratiques d'alevinage ?

Alevinage truite fario alevin vésiculé
© Paul Starosta

ATTENTION ! Ce bilan des pratiques ne vaut que pour des milieux relativement peu dégradé, où une population de truite peut vivre. Dans le cas de milieux vierges (pollution brusque, assèchement) certaines pratiques d'alevinages peuvent fonctionner...

 

Et bien l'état des connaissances actuelles montre (de nombreuses études ont été produites dans le département et ailleurs) que :

 

- Souvent les pratiques ne sont pas bonnes. Prenons un exemple : les alevins à vésicule résorbée sont déversés durant l'après-midi alors que naturellement, l'émergence a lieu la nuit pour diminuer la prédation. Les taux de mortalité sont alors très importants.

 

- C'est le passage en pisciculture qui modifie le comportement du poisson, même s'il est d'origine sauvage. En effet,chaque pisciculture ou aquariophile vous le dira, un poisson, comme n'importe quel animal s'éduque et il est très facile de modifier son comportement. Dans les années 70, des captures de géniteurs sauvages étaient réalisées sur le département de la Corrèze pour garder "la souche". Sans succès. Ainsi globalement, une truite élevée est plus capturable qu'une truite sauvage, ce qui explique d'ailleurs que l'on trouve peu de "pollution génétique" des truites de pisciculture dans les populations de truite sauvage.

 

- Les alevinages ont une réussite limitée dans le temps : pour les adultes, la question ne se pose pas, de deux à trois jours pour un déversement d'adultes capturables. Pour les autres techniques, les pertes sont énormes (la proportion d'individus introduits dans la population diminue avec le temps pour être quasiment nulle dans la population adulte) et le coût de revient de production d'une truite capturable est très élevé. 1000 alevins coûtent en moyenne 100 à 150 €...

 

- L'apport en individus dans le stock est très faible. Si l'ont réfléchi à l'échelle d'un bassin versant, une AAPPMA n'a pas les moyens de traiter tous les ruisseaux (en termes d'argent, mais aussi en termes de bénévoles...). Ainsi on peut se demander quel est l'impact du déversement de 10 000 alevins à vésicule résorbée.

Par exemple sur la Vienne sur le bassin versant en Corrèze (bassin assez préservé, sans trop de perturbations sur le plateau de Millevaches) une étude de 2008, montre que le stock de truite est de l'ordre de plus de 230 000 individus (tous âges compris)! L'impact d'un alevinage serait ainsi bien limité et peu significatif sur le stock, d'autant plus qu'il faut 1000 alevins à vésicule pour obtenir, au mieux, 1 à 3 truites adultes matures !

Donc même en partant du principe que nous aurions une souche de poisson "autochtone", que nous ayons assez de bénévoles pour aller les introduire, que nous les formions pour réaliser correctement cette introduction et bien, il nous faudrait une quantité extraordinaire d’œufs, d'alevins ou d'adultes pour avoir un effet significatif sur le stock ! Or nous vous rappelons que notre AAPPMA  a seulement 1500 € de budget, soit en équivalent alevins, environ 10 à 15 000 alevins à vésicule résorbée ou 700 kg de truites adultes...

 

En prenant en considération tous ces éléments, notre AAPPMA, sur le secteur Saint-Yrieix le Déjalat au début des années 2000, puis sur le secteur de Corrèze à la fin de la décennie, a décidé de stopper toutes les opérations d'alevinage à tous stades. Ainsi, les truites présentes actuellement sur le bassin versant sont 100 % sauvages.

D'où notre nouveau  leitmotiv : Gestion patrimoniale - 0% Alevinage / 100 % sauvage.

 

Quels résultats ?

Résultat arrêt des alevinages en truite
Alevins de truite de la Corrèze en 2012

Pour quels résultats me direz-vous ? Et bien, notre souhait d'agir sur le milieu plutôt que sur la population est un choix fort. Déjà l'arrêt des repeuplements depuis 10 ans nous montre que la population est viable, y compris sur des toutes petites têtes de bassin versant isolées.

 

La reproduction naturelle a lieu. Le stock de truite n'a pas disparu.

 

Tout n'est pas rose pour autant, il existe des problèmes et le fait de ne pas aleviner, ne les résoud pas, mais au moins, nous savons que la population sauvage résiste très bien sans notre aide ! Ceci a d'ailleurs été très bien démontré sur le bassin versant du Vianon près de Neuvic ou l'arrêt de l'alevinage a fait l'objet d'une étude scientifique de plusieurs années qui montre que cet arrêt n'a eu aucun impact sur le stock de truite. C'est même l'hydrologie naturelle (crues au moment de l'émergence, la période la plus sensible) qui est le principal facteur de variation de la population.

 

Ceci est très bien résumé par ce scientifique, M. PARÂTRE, dont le nom n'est malheureusement pas passé à la postérité, mais qui écrivait dans un ouvrage de 1894 : "Faut-il s'étonner d'un insuccès à peu près général ? Assurément non. La réussite dans de pareilles circonstances eut été beaucoup plus surprenante. Pour repeupler les eaux, la première chose était de les rendre habitables pour le poisson, c'était veiller à ce que celui-ci trouvât les conditions nécessaires à son existence, et c'est, nous devons le reconnaître, ce à quoi on a le moins songé jusqu'à présent chez nous ".

 

En conclusion, restaurons l'habitat piscicole de nos ruisseaux et nous aurons de bonnes populations naturelles et se débrouillant très bien toutes seules !